7.05.2017

VISAGES VILLAGES D'AGNES VARDA ET JR

7.05.2017












La salle de cinéma est définitivement un lieu d’escapade, de fuite, de découverte. Sans bouger de son siège, plongé dans une salle obscure, nous sont donnés des mondes qui viennent d’ailleurs, des univers qui semblent ne jamais avoir existés. Loin de ne proposer que des films de SF, le cinéma nous permet de voir ce que jamais sans lui nous n’aurions vu. Nous entrons ainsi dans une salle remplie de sièges, nous nous asseyons dans celui qui semblent être le meilleur pour observer la scène, et nous attendons d’être transportés. Les publicités, puis les bandes-annonces défilent devant nos yeux, comme un crescendo d’intérêts qui nous promettent du pur spectacle, ou de la consommation en masse. 
Mais le plus beau moment, quand on entre dans une salle de cinéma, c’est quand l’écran s’agrandit, quand il passe de poste de télévision à écran de cinéma. C’est le moment particulier, si furtif qui nous dit : « Attendez-vous à en prendre plein les mirettes ». Aujourd'hui je me suis installée dans un siège du Studio 43, à Dunkerque, attendant impatiemment que l’écran s’ouvre à moi. Alors quand j’ai vu qu’il ne s’ouvrait pas mais que le film arrivait, une pointe de déception m’a envahie, déception qui s’est vite évanouie en découvrant les images que j’allais voir. 




Aujourd'hui je suis allée voir Visages Villages d’Agnès Varda et JR. Depuis que je suis petite, j’ai des images des films d’Agnès Varda dans les yeux, ses mains qui encerclent un camion, ses pommes de terre en forme de coeur qui se fanent, et tout particulièrement son étonnante coiffure bicolore. 



      JR, lui, je le connais depuis moins longtemps. J’ai vu son travail sur la façade la Voix du Nord à Lille, j’ai vu quelques photos accrochées sur les murs, et j’ai adoré son court-métrage à Ellis Island avec De Niro. Alors quand j’ai vu qu’ils avaient réalisé un film ensemble, j’étais plutôt partante pour aller le découvrir. Mais il est vrai que je ne m’attendais pas à ça, que je ne m’attendais pas à être aussi émerveillée par leur travail commun.




   Visages villages est l’histoire d’une rencontre, une rencontre entre deux générations de photographes qui ont pour but de visiter la France, et de rencontrer ses habitants. Visages village est l’histoire d’une rencontre entre l’art et la vie de tous les jours, la destruction de quartiers, le souvenir de personnes décédées et la recherche de la communauté. 
En voix off, JR et Agnès Varda nous racontent leur rencontre, et tout particulièrement comment ils ne se sont pas rencontrés. Ils nous racontent leur projet de parcourir les villages de France pour aller à la rencontre de ses habitants. 
Dans leur camionnette-studio, ils traversent les routes à la recherche de visages qu’ils pourraient afficher sur les murs. Visages villages n’est pas l’histoire d’Agnès Varda et de JR, ce n’est pas l’histoire de leur projet, de leur film ou de leurs photographies. Visages villages raconte des histoires, celle des corons du Nord de la France, celle d’un couple qui s’aimait il y a de ça quelques générations, celle d’ouvriers dans une usine qui transforme le sel en chlore, celle des dockers de Normandie et de leurs femmes ou celle d’éleveurs de chèvre. 
Ils cherchent à immortaliser des visages en les imprimant sur les murs, mais ils ne cherchent pas l’immortalité des visages, en étant conscients que par cet affichage en extérieur, la photographie ne durera pas. C’est une aventure humaine, poétique et vivante. On le sait, Agnès Varda sait magner les mots, elle sait jouer avec eux de manière à nous faire rire et à nous faire sentir toute la poésie de la langue française. Tous les deux savent ce qu’ils veulent, ont leur manière de travailler et pourtant collaborent ensemble de manière à réunir des histoires, à en créer. 




       Ce couple étrange débarque donc dans les villes et villages de France pour en faire ressortir leur beauté, pour repeupler les lieux déserts ou prêts à être détruits. On est tout de suite séduit par leur approche des rencontres, par leur recherche de la particularité de chacun et par leur volonté de mettre en avant des singularité qui font partis d’un tout. Cette comédie semble d’abord légère mais au fur et à mesure on se rend compte de cette volonté de trouver l’humain par ces deux paires d’yeux. Quand JR veut montrer à Agnès Varda les dockers du Havre, elle, décide de s’intéresser à leurs femmes. C’est donc grâce à deux visions artistiques de deux générations différentes que nait cette ode à la rencontre, aux voyages et aux histoires. 




Mais cette histoire est aussi celle d’Agnès Varda. Elle nous emmène, avec beaucoup de pudeur et de retenu, dans son passé de réalisatrice de la Nouvelle Vague. On voyage ainsi en train en compagnie de Jean-Luc Godard et d’Anna Karina, et avec le douloureux souvenir de Jacques Demy. Elle nous offre des images de pommes de terre flétries, de camions entourés de ses doigts. Mais, elle nous offre aussi son regard, un regard qui ne voit plus très bien mais qui voit encore très bien ce qu’il faut voir. Car Agnès Varda sait où aller chercher ce qu’il faut voir, elle sait où trouver l’humain, la poésie et la beauté. Ses yeux qui ne voient plus très bien, JR les aide à mieux voir et leur offre une seconde vie en les imprimant sur un train. 

Anna Karina et JL Godard dans Les fiancés du pont Mac Donald d'Agnès Varda



       Alors quand Godard ne se présente pas, tout comme Anna Karina, puis tout comme JR, on se demande « J’sais pas quoi faire, qu'est ce que je peux faire ». Alors, comme JR, on aimerait lui prêter nos yeux pour qu’elle sèche les siens et pour qu’elle puisse admirer le lac devant lequel elle se trouve. 








A bientôt pour un nouvel article,
x Eva

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